08 Juil 2018 8 Comments
Histoires du soir sur l’altiplano péruvien
Juliaca, Pérou, 24 juin 2018
Après un bon bain dans les eaux chaudes et sulfureuses d’Aguas Calientes, nous quittons la vallée fertile pour un tout autre paysage. Ce matin, nous finissons de grimper vers le col de la Raya à plus de 4300m d’altitude: c’est la porte d’entrée de l’altiplano péruvo-bolivien et son fameux lac Titicaca. Ça monte gentiment et ça réchauffe les mollets. La route est déserte et serpente au milieu d’une large vallée. Nous arrivons assez vite au sommet. Devant nous se profile l’altiplano. C’est immense. C’est la pampa. Des plaines jaunies à perte de vue, pas un arbre, le tout encadré par des montagnes. Les grands espaces. Pour nous ça sonne un peu comme la Mongolie lors de notre périple en 2016. Ça annonce de beaux bivouacs!
Nous nous élançons vers ce nouveau terrain de jeu. Pour l’instant ça descend, c’est grisant et en plus le vent est clairement avec nous! Grands moments de bonheur. L’altiplano semble désert vu d’en haut, mais en y regardant de plus près il est parsemé de maisons en pisé qui se fondent dans le paysage. Les animaux sont bien présents: moutons laineux, ânes à dreadlocks, vaches cuivrées et alpagas imperturbables. De nombreux champs sont cultivés, c’est comme un damier de petites parcelles, séparées par des murets en pierres sèches, qui se découpent délicatement dans le paysage.
Cette immense plaine est le lieu d’une agriculture extensive avec les méthodes douces du XIXème siècle. C’est beau, c’est grand. C’est l’altiplano! Nous prenons un vrai plaisir à traverser ces vastes espaces à l’habitat dispersé. Les quelques bourgs que nous croisons n’ont, eux, aucuns attraits particuliers et sont même vraiment moches avec leurs constructions mixtes pisé-briques-béton et tôles métalliques. D’autant plus que les maisons et bâtiments divers semblent ne jamais devoir être terminés.
En fin de journée c’est un vrai plaisir pour nous de choisir, un peu au hasard dans la campagne, notre lieu pour la nuit. Voici deux extraits de nos petites histoires du soir:
Et que la fête commence ! (Chuquibambilla)
Vers 16h en longeant une rivière nous apercevons une chapelle en pisé, un peu à l’écart d’un village. Elle semble abandonnée et les commerçantes du village nous confirment qu’il n’y a rien, ni personne dans cette chapelle. Nous avançons dans sa direction. Il y a un bel espace devant avec de l’herbe rase, c’est parfait pour notre campement. Le lieu est calme. Il y a juste une piste peu empruntée (tant mieux parce qu’à chaque passage c’est un énorme nuage de poussière qui se soulève) et un chien qui aboie au loin. Le lieu est tellement désert et l’extérieur de la chapelle dans un tel délabrement qu’ Antoine dit, pour rire: « A priori, ce n’est pas ce soir qu’aura lieu l’inauguration!!!! ». Et comme ce soir il fait particulièrement glacial, les apprentissages et le repas sont vite faits, bien faits. Nous sommes fatigués. A 19h, nous sommes tous dans les duvets préparés à affronter les glaçons nocturnes. L’histoire aurait pu s’arrêter là: » Bonne nuit tout le monde et à demain « . Mais c’est à ce moment-là qu’arrive un véhicule. Est-ce la police qui fait une ronde ? Antoine ressort rapidement de son duvet pour voir qui arrive pleins phares sur nous. Ce ne sont autres qu’un mini-bus et 2 voitures. Tous pleins d’adultes et d’enfants. Les nouveaux arrivants saluent Antoine et, sans plus être surpris de notre campement, ils lui indiquent que la fête ne durera « que » 2 heures. C’est vrai qu’il n’est que 19h30 … Demain c’est la St Jean Baptiste, le saint patron de la chapelle. Ils viennent une fois chaque année pour faire la fête en son honneur. Ce soir c’est la veille du Jour J, alors ils rappliquent pour faire une pré-chauffe. Demain ce sera la grande fête. Ce soir ils sont là, juste en famille, pour festoyer autour du feu. Ah ba ça, c’est bien notre veine… Nous sommes crevés, il fait froid et nous n’avons aucune envie de faire l’effort de nous rhabiller pour les rencontrer. Sommes-nous blasés ??? Avons-nous perdu l’appétit et l’esprit de notre voyage ? Est-ce le thermomètre qui plonge sous le 0°C qui nous paralyse ? Notre cerveau à moitié endormi et la timide chaleur montante dans nos duvets, nous empêchera une analyse introspective plus poussée. Notre présence au milieu de leur esplanade n’ayant pas l’air de les gêner, nous nous terrons dans nos gîtes synthétiques. Malgré les bruits et la musique nous nous endormons. Mais des rires réveillent Géraldine 1h et demi plus tard. Cette première session de sommeil lui a redonné le regain d’énergie nécessaire pour s’habiller et aussi pour éveiller sa curiosité… Dehors, l’ambiance est douce et bon enfant. Il y a un grand feu, de la musique, certaines personnes dansent, d’autres discutent tranquillement en se réchauffant autour des flammes. La chapelle est ouverte. Elle est en bien meilleur état que son aspect extérieur ne pouvait le laisser imaginer. L’autel est illuminé par de nombreuses bougies, qui produisent une chaude lumière. Cela contraste avec le magnifique grand ciel étoilé et la température glaciale dehors, renforçant le côté mystique de l’ambiance. On offre à Géraldine un verre de chicha morada chaud (sorte de jus de maïs à la mûre). Elle observe en silence, encore toute endormie. Eux sont très en forme et l’accaparent pour une séance photo dans la chapelle. Le décalage est complet ! A 21h30, comme prévu, la fête est finie. Géraldine retourne se coucher et après une dernier éclatement de pétard nous les entendons quitter les lieux dans notre demi-sommeil. Le lendemain dès 5h, les premiers préparatifs ont lieu. Les toiles de tentes sont recouvertes de cristaux de glace à l’extérieur comme à l’intérieur. C’est très joli mais n’incite pas à sortir précipitamment saluer les travailleurs matinaux. Enfin le soleil se lève sur la plaine et réchauffe nos tentes. Soudain une ombre verticale nous masque le soleil. Antoine ouvre la tente pour voir qui ose nous priver des rayons de notre bonne étoile. C’est Jésus ! Nos nouveaux amis sont en train d’installer des statues de Jésus, Marie et St Jean Baptiste à l’entrée de la chapelle et c’est celle de Jésus qui nous fait de l’ombre. Est-ce un signe? Quelle signification lui donner ? Finalement nous déplaçons de quelques mètres le Seigneur sans que cela ait l’air de l’avoir fâché. Après un rapide petit dèj, nous plions les tentes et montons sur les selles au moment où arrivent la sono et plusieurs mini-bus. Il fait beau, le vent nous pousse, la route nous appelle.
Plaisirs échangés (Kojra Chico)
Autre journée sur l’altiplano, le soleil baisse, il est temps de poser nos sacoches. Un peu à l’écart de la route, nous apercevons un vieux monsieur qui vaque à ses occupations dans un petit groupe d’habitations en terre. Nous allons à sa rencontre. Mais c’est son chien qui nous offre un premier contact agressif. Le brave toutou fait son job et monte la garde. Mais nous sommes habitués aux clébards maintenant, et nous n’avons même plus peur! Na! Une fois que le canidé nous a bien flairé, Antoine et Albane partent avec Antonio pour faire le tour du hameau à la recherche d’un endroit plat, enherbé et protégé du vent. Ce vieux monsieur vit seul ici et semble très heureux d’avoir de la compagnie et un évènement atypique à vivre. Il est pieds nus, sa peau est cuivrée, tannée, cuirassée, façonnée par le soleil et la vie au grand air. Il n’a plus beaucoup de dents et n’entend pas vraiment bien. Il parle espagnol comme un vieux berger du Mercantour parle français. Autant vous dire que la communication gestuelle et visuelle prend toute son importance. Et puis quand on ne comprend pas, on devine, et si on se trompe, ce n’est pas grave parce que nous sommes tous très heureux d’être ensemble, et c’est bien cela l’essentiel. Antonio nous montre la toute petite source d’eau douce qui remplit goutte à goutte le seau qui lui sert quotidiennement. Après le montage des tentes, nous lui proposons de partager un chocolat chaud. Hummm ce bon chocolat de Cusco, qui fait tant de bien le soir après une journée de vélo. Antonio apprécie sérieusement le breuvage. Nous discutons un peu, sur son âge, sur son métier à Lima, sa famille qui habite dans la ville voisine… Puis il nous souhaite une bonne nuit. Le soleil va bientôt se coucher. Il est 18h. De notre côté nous ne traînons pas non plus. C’est le thermomètre qui décide de l’heure de notre coucher par ici. Au matin, Antonio est déjà là. Il nous observe tout en profitant des 1ers rayons du soleil. Avec le froid nocturne, nous comprenons bien pourquoi les Incas vouaient un tel culte au Soleil. Quel bonheur de sentir ses rayons sur nos joues et la température repasser en positif! Notre petit-déjeuner sera pris en commun avec Antonio. Un simple plaisir partagé mais qui a beaucoup de sens pour nous tous. Notre habituel porridge est bien adapté à l’unique dent rescapée de la mâchoire d’Antonio. Une bonne tasse de maté de coca brûlant et nous voilà d’attaque pour un nouveau bout de route. En plus de notre habituel carte de remerciement, nous laissons à Antonio, notre réserve de feuilles de coca et une moitié de fromage. Il n’en fallait pas plus pour lui donner le sourire ! Merci pour ton accueil Antonio.
Ces rencontres, au hasard, alimentent nos souvenirs de voyage, font évoluer nos perceptions et participent à la beauté de notre voyage. Nous prenons aussi conscience que de notre comportement dépend la qualité de la rencontre.
Prochain épisode: sur les bords du Titicaca…
Les Cham à vélo
10 Juil 2018 11 Comments
Sur les bords du lac navigable le plus haut du monde
Lac Titicaca, Pérou 31 juin 2018
Qui ne se souvient pas de la découverte du lac Titicaca, en cours de géographie, assis dans une salle de classe et des ricanements qui ont suivi chez les élèves?
Bivouac au bord du lac, c’est pour ça que l’on voyage en vélo !
A 3810 m d’altitude avec 8372 km2 et plus de 190 km de long, c’est un lac immense que nous avons choisi de longer par sa partie nord-est beaucoup moins touristique mais très agréable en vélo. Le lac est moitié Péruvien, moitié Bolivien. Nous changerons donc de pays sur ses bords.
De la casa de ciclista à Juliaca, où nous avons passé un excellent moment avec Giovanni, nous piquons plein sud-ouest en direction du lac. La sortie de la ville est un véritable dépotoir à ciel ouvert. C’est triste et franchement peu engageant. C’est ce moment que choisi un des rayons de la roue arrière du tandem pour se briser. Avec l’aide des outils de riverains nous réparerons rapidement la roue et continuerons à fuir en direction du lac. Encore une petite butte pour traverser le bourg de Capachica, ça monte bien raide et à cette altitude nous sommes vite à bout de souffle, mais tout de suite après, notre regard s’ouvre sur le lac. Cette arrivée en fin de journée est un ravissement: son immensité, ses eaux bleues marines et le calme qui y règne nous aident à oublier les déchets qui jonchent son rivage enherbé. Le soleil va se coucher, c’est l’heure où moutons, vaches, ânes et cochons sont ramenés à la maison pour la nuit. Nous sommes transportés dans un autre temps. Tout est tellement lent. Dans le village, il n’y a pas une voiture, seuls quelques collectivos (mini-bus de transport de voyageurs) circulent. C’est splendide, c’est paisible, c’est reposant. Nous avons une bonne fatigue physique. Nous sommes heureux. Une bonne soupe sous l’abside de la tente et nous retrouvons avec joie nos leggings, sous-pulls, écharpes, bonnets, draps, duvets et couvertures polaires. Engoncés dans nos épaisseurs et équipés de nos liseuses débordantes de livres passionnants, nous sommes prêts à affronter une nouvelle nuit de 12 h. De l’autre côté de la toile de tente, la voûte céleste magnifiquement étoilée attend le ou la courageux(se) qui viendra visiter ces toilettes universels pour le ou la récompenser avec un spectacle 5 étoiles (et plus…) !
Le lendemain, il fait grand beau, un petit 20 km pour rejoindre le village de Llachon et nous arrivons chez Valentin en longeant le lac. Il habite sur une petite hauteur qui domine cette gigantesque étendue d’eau avec une vue parfaite et une petite terrasse-pelouse : idéal pour planter les tentes ! L’après-midi nous partons visiter l’une des petites îles flottantes du lac avec un pêcheur habitué à arrondir ses fins de mois de cette manière. Ces îles sont entièrement fabriquées à base de cubes de tourbe assemblés et de couches de totoras, une sorte de roseau qui pousse sur les bords du lac et sert aussi à nourrir les animaux. Chaque île abrite de une à trois familles de pêcheurs qui y vivent dans une assez grande autarcie. C’est impressionnant.
Nous passons encore une journée à flâner, à lire, à se balader. Comme sur les rives du lac Baïkal lorsque nous y étions passés, l’envie de rester ici en ermite avec une pile de bouquins, nous reprend !
Nous quittons tout de même la presque-île pour continuer notre périple. Assez vite nous suivons une piste magnifique qui longe le lac en surplomb. Nous sommes seuls. Le lac est d’un bleu presque aussi parfait que celui du ciel. L’air est limpide. Au loin se découpe les sommets enneigés de la Cordillera Real bolivienne. Nous nous régalons. Le soir nous dormons entre Pusi et Taraco dans la cour de Julian. Comme tout le monde ici, il fait sécher ses pommes de terre au sol pour en faire des chuños. Une méthode qui permet de conserver les pommes de terre pendant très longtemps. La nuit il laisse les tubercules geler. Le matin, il les piétine pour en faire sortir l’eau et ainsi de suite pendant plusieurs jours. A la fin il les lave et les sèche plusieurs fois pour que les pommes de terre deviennent toutes blanches. Ça sert ensuite à épaissir les soupes, comme notre fécule. Combien de fois avons-nous vu sur le bord de la route des hommes et des femmes fouler leurs patates pieds nus et en musique. On aurait dit qu’ils dansaient ! C’est d’ailleurs peut-être ce qu’il faisaient !
Puis nous passons Huancane, Moho et Conima, tantôt au bord du lac, tantôt plus à l’intérieur sur une route goudronnée et nous nous dirigeons tranquillement vers le dernier pays de cette année de voyage : la Bolivie…
Les Chams à vélo
by leschamavelo in --> des parents, 15 - au Pérou, au fil du périple 2017-18, tous les articles