Chance ou malchance? Qui sait?

Pacific Groove, California, 1er décembre 2017

Malgré la fatigue et l’heure tardive en cette nuit du 1er décembre, nous ne résistons pas à l’envie de vous raconter le petit conte du soir des Chamavelo (libre adaptation d’un petit conte chinois dont la maman d’Antoine se souviendra):

Il était une fois en Californie, une magnifique baie sur la côte Pacifique. La baie de Monterey est très connue pour ses grandes plages idéales pour le surf, ses criques rocheuses appréciées des lions de mer et des phoques et sa faune aviaire au rang desquels les pélicans sont légions. Dans cette belle baie, dont une grande partie de la population vit très confortablement, une famille de voyageurs à vélo se promène.

Quelle chance !

Quand le soir fut presque venu, nos amis vélocipèdistes s’avisent à trouver un abri, à tout le moins, une petite place pour bivouaquer gentiment en famille. Seulement voilà, la zone est si belle qu’elle attire beaucoup de convoitises. Une portion non négligeable de ce petit paradis côtier est privatisé sur plus de 25 km. De magnifiques villas, toutes plus grandes les unes que les autres – et pour certaines déjà parées pour Noël -, se partagent des vues incroyables sur l’océan et sur un golf qui naturellement ponctue cet ensemble très huppé. Pas facile de trouver un endroit.

Quelle malchance !

Où va bien pouvoir dormir notre charmante petite équipée? Le prix de la nuitée tarifée en ces lieux ne leur convenant guère, ils décident de trouver une petite place discrète pour installer leur toile. Quelques tours de roues plus loin, à une maison joliment décorée, ils demandent de l’eau pour leur soirée. Un couple charmant retarde visiblement leur départ pour remplir les réservoirs de nos voyageurs. La dame trouve même le temps d’offrir quelques bonbons aux enfants.

Quelle chance!

De part et d’autre de la route, les jardins des maisons sont très organisés et entretenus de façon millimétrée. De toute évidence, les paysagistes n’ont pas prévu l’option camping dans leurs réalisations.

Quelle malchance!

Encore quelques coups de pédales pour s’écarter de la zone urbanisée et les voilà circulant entre les rochers de la côte et les tapis verts des parcours du golf. Faute de trouver un lieu plus effacé, nos amis attendent la nuit tombée et investissent modestement une zone aménagée pour observer les oiseaux et les lions de mer qui s’entassent sur un rocher à quelques encablures de la côte. Le lieu n’est certes pas idéalement discret mais le soleil leur faussant compagnie, les voilà décidés à rester ici. Le bloc sanitaire n’est pas très bucolique mais il est apprécié. Eau potable, électricité, tables en bois voilà qui complète les commodités.

Quelle chance!

Alors que le rangement du dîner se termine et que les enfants préparent l’intérieur de la tente, un agent de sécurité entre sur le parking tous gyrophares allumés. Sa venue était prévue. Les derniers visiteurs – partis il y a une heure – nous avaient informés que le lieu était gardé mais que notre situation devrait trouver à être expliquée. Le père de famille, toujours confiant, informe donc l’agent de leur présence. Présence essentiellement due à leur méconnaissance sur l’étendue de la zone privée et à l’arrivée de la nuit, dont chacun sait qu’elle est fortement déconseillée pour circuler à vélo. Il rassure l’employé sur leur velléité de repartir tout juste le soleil levé. L’agent de sécurité fort courtois, mais peu compréhensif, invite toute la famille à diligemment replier leurs affaires. Malgré toute la sympathie qu’il dit éprouver pour nos voyageurs égarés, ceux-ci doivent décaniller. S’ensuit une longue discussion, sur le sens du devoir professionnel versus le sens de l’accueil du prochain (avec petits enfants fatigués et nuit déjà bien tombée). Un appel à son boss plus tard, rien à faire, nos amis doivent tout remballer et Andrea – puisqu’il se nomme ainsi – escortera les cyclistes jusqu’à un lieu plus approprié.

Quelle malchance!

C’est la misère. Ça donnerait presque envie de pleurer. Ils s’étaient fait une telle joie de pouvoir observer, seuls, au petit matin, les oiseaux et les lions de mer sur le rocher. Ils sont aussi déçus par les gens qui vivent ici, et qui, pour leur sécurité et la sécurité de leurs biens, payent quelqu’un pour déloger une famille si inoffensive. Et puis la mère de famille se ressaisit, il y a les enfants, pour eux aussi c’est rude. Alors, elle tourne le truc à la rigolade et dit à la cantonade: « Bon voilà tout est rangé! Il ne reste plus beaucoup de temps à notre ange gardien pour arriver comme d’habitude! ». L’histoire raconte qu’elle aurait même entonné un discret petit « Alleluia ». En secret, elle l’espère, quelque chose de bien va finir par arriver. Ça la rassure. Pendant ce temps-là, le père discute avec l’agent sur le choix du lieu d’arrivée de l’escorte: hôtel hors de prix à proximité ou camping économique plus éloigné, les deux protagonistes ont des avis opposés.

C’est à ce moment précis qu’arrivent… Leurs anges gardiens !!!

Ils sont en voiture, ils rentraient chez eux, et ils leur restaient encore 4,5 km à faire quand ils ont aperçu des gyrophares oranges sur le parking de « Bird Rock Vista ». La dame aux bonbons, car c’est bien d’elle dont il s’agit, a eu un pressentiment et a demandé à son mari d’aller jeter un œil.

Ils sortent de leur voiture, inquiets de voir la petite famille avec l’agent de sécurité. Ce qu’ils avaient pressenti était juste. Ils annoncent aux parents qu’ils veulent offrir une chambre d’hôtel à toute la famille ! Et oui! « C’est le temps de Noël! » diront-ils. Le père et la mère sont éberlués, presque autant que l’agent de sécurité, qui lui n’a pas leur expérience en la matière et semble bien perdu dans cet affaire. Les enfants aussi sont sur leurs postérieurs. Mais comment est-ce possible? Ils pensent que leur père a secrètement téléphoné aux anges gardiens ou que leur mère est devenue comme le « mentalist » qu’ils ont vu à Las Vegas.

Rien de tout cela, mais vous avouerez que c’est perturbant, tout de même…

C’est donc escorté comme des VIP, avec à l’avant leurs incroyables anges gardiens et à l’arrière l’agent de sécurité et ses gyrophares, que toute la famille pédale les 6 km nécessaires pour rallier un hôtel bien douillet.

Quelle chance!

La spontanéité et le bonheur d’aider sont tels qu’il n’est même pas envisageable de régler par soi-même l’hôtelier. Une dernière photo souvenir et Andrea s’en va, non sans avoir reçu plusieurs accolades de notre sauveuse. De même la petite famille de voyageurs sera chaleureusement remerciée pour être ce qu’elle est et pour ce qu’elle offre à ses enfants. C’est le monde à l’envers non? L’ainée des enfants saura, en anglais, rectifier la situation: « But this is you, who are incredible! Thank you so much !».

Une bonne nuit et demain, c’est promis, nous repasserons chez eux pour mieux échanger sur nos vies.

Alors, chance ou malchance? Qui sait?

Happy end !

Les Cham à vélo au pays des merveilles